Un Camerounais sauve la Suisse et des Camerounais s’en émeuvent

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Triomphe modeste de Breel Embolo, naturalisé Suisse, après son but inscrit contre le Cameroun, son pays d'origne

« Le dilemme de Breel Embolo ». Ainsi pourrait-on caractériser l’attitude de l’attaquant suisse qui a inscrit, pour le compte de son pays d’adoption, un but contre son pays d’origine à l’occasion du match inaugural des deux pays à la 22e édition de la coupe du monde le jeudi 24 novembre 2022 au Al Janoub Stadium à Al Wakrah au Qatar.

Lorsque, par sa brillante touche, dans la seconde manche, la balle viole les filets du portier camerounais, la jubilation souvent remarquée chez les buteurs à ce niveau de compétition est plutôt terne. Quand, à la fin de la partie, ses coéquipiers se précipitent sur lui pour le porter aux nues, son regard semble fuyant. Visiblement, il n’est pas très content de lui-même. La raison apparente en est qu’il est Camerounais d’origine, qu’il vient de clouer son pays au pilori et que cela peut avoir des répercussions fâcheuses.

Avant la fin de la rencontre, des messages pas du tout gentils circulaient déjà dans les réseaux sociaux : « La famille de Embolo habite à Efoulan Pont, au cas où… »;  « Dites à Embolo, l’attaquant suisse d’origine camerounaise que nous avons déjà localisé la maison de sa grand-mère, maman Mvondo, plus connue sous le nom de Mbombo. C’est lui qui décidera notre attitude à 13h [à la fin du match] »; « Cameroun 1 – Cameroun 0 »; « Voilà la conséquence de demander aux marabouts de donner les buts aux Camerounais sans préciser la nationalité »; etc. Une image apparemment surréaliste montrant un homme traîné dans la rue par la police après le coup de sifflet final avait pour légende : « le père de Embolo interpellé il y a 5 mn ». L’on a par ailleurs vu, toujours dans les réseaux sociaux à l’issue du match, un déploiement de la police autour d’une maison, annoté du commentaire suivant : « Après le but de Embolo, la sécurisation de la maison familiale s’impose à Yaoundé ».

Le « crime » du Camerounais naturalisé Suisse est, paraît-il, d’avoir offert son talent à un pays autre et, surtout, de l’avoir déployé contre les « siens » sur la place mondiale du football de l’heure. Ce reproche est-il cependant véritablement raisonnable ? Breel Embolo aurait-il refusé d’être classé face au Cameroun que la Suisse l’aurait peut-être accusé de trahison. A-t-il accepté de jouer, que l’accusation inverse se déchaine-t-elle contre lui. Un message d’avant-match, à lui attribué sur les réseaux sociaux, exprimait déjà d’une certaine manière son ambiguïté comportementale : « Si je marque, j’essaierai de ne pas célébrer. Mais le foot est un sport d’émotions. Si je célèbre, ce ne sera pas contre mon pays natal, mais parce que je veux gagner.» Un autre message, un voice WhatsApp précisément, attribué à la mère de Embolo à la fin de la rencontre, faisait entendre : « Laissez mon fils tranquille […] les Suisses l’ont formé et il a fait le job. Formez vos joueurs, il n’y a que la magouille chez vous […] Donc arrêtez ça, arrêtez de culpabiliser mon fils. » Si l’on peut condamner le ton de cette intervention, il reste que tout cela est l’expression d’un véritable dilemme que l’on ne saurait surmonter qu’en interrogeant les grandeurs de la citoyenneté mondiale.

La performance de la star – malgré lui – du match opposant « ses deux pays » est le fruit de la circulation globale des talents. La motivation principale de cette circulation c’est d’abord de rechercher là où l’on peut s’en sortir, se valoriser et, pourquoi pas, briller. On célèbre régulièrement au Cameroun des champions d’origine camerounaise en compétition pour leurs pays d’adoption. Cette diaspora compétitive et brillante fait notre fierté. La « malchance » d’Embolo c’est que sa démonstration a lieu dans un champ de compétition dominé par la passion lors d’un affrontement ouvert contre son pays d’origine. Et là, difficile de ne pas comprendre les débordements. Il s’agit juste de comprendre, mais pas de les valider. Le faire reviendrait en effet à nier tout ce que la circulation des talents apporte au Cameroun.

Une sagesse nous demande de ne jamais récuser aujourd’hui ce que nous pourrions défendre demain. Sur la base de cette sagesse, saluons sportivement l’exploit d’Embolo et souhaitons qu’avec lui la Suisse aille le plus loin possible dans la compétition. Le Cameroun en tirerait toujours profit, d’une manière ou d’une autre, même si c’est seulement en termes de représentation imaginaire comme « pays creuset de talents mondiaux ».

En attendant, revenons au stade. Revisitons et évaluons nos erreurs. Nous avons en effet bien vu comment des opportunités de buts n’ont pas été suffisamment exploitées. Corrigeons-les aux prochaines rencontres qui s’annoncent théoriquement plus difficiles et opérationnellement plus décisives. Et que la performance soit du côté des Lions. Bonne fête du football à tous./

Alexandre T. Djimeli

Journaliste en retrait

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