Son séjour en Suisse n’a pas été de tout repos. En terre helvétique, malgré les manifestations inutilement violentes organisées par une minorité de Camerounais vivant en Europe, Paul Biya a mis à profit son temps pour se pencher sur la crise ayant cours dans les régions où vivent ses compatriotes d’expression anglaise. Les militants et sympathisants de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) lui ont réservé un accueil frénétique, le 5 juillet 2019.
Les responsables du RDPC du Mfoundi et de la Mefou Afamba n’ont pas fait dans la dentelle. Ils ont mis tout en œuvre pour réserver un retour triomphal au président de la République Paul Biya.
Au Commencement était un communiqué du délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé, Gilbert Tsimi Evouna, par ailleurs chef de la délégation permanente départementale du RDPC dans le Mfoundi invitant les militants et sympathisants de cette formation politique à se retrouver massivement le long du parcours qu’empruntera le couple présidentiel de retour d’un court séjour privé en Europe, le 5 juillet 2019. D’autres initiatives ont été également entreprises du côté des universités pour mobiliser les étudiants. Au regard du nombre de personnes massées le long de l’itinéraire emprunté par Paul et Chantal Biya, on peut affirmer que le message de Tsimi Evouna a été entendu.
Aux environs de 17 heures ce 5 juillet 2019, l’avion transportant le couple présidentiel en provenance de Genève en Suisse s’est posé sur le tarmac de l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen. Ils sont ovationnés, au rythme des chants et sons de tambour, par une foule nombreuse massée à l’esplanade. Comme à l’accoutumée, le chef de l’État et son épouse sont accueillis au bas de la passerelle par le Président du Sénat, Marcel Niat Njifenji, le Président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yeguie Djibril, le Premier ministre, Chef du Gouvernement, Joseph Dion Ngute, le ministre d’État, Secrétaire général de la Présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh.
Après quelques brefs entretiens accordés par Paul et Chantal Biya et un chaleureux bain de foule offert au public, le cortège du couple présidentiel s’ébranle vers les palais d’Etoudi. Tout au long de ce parcours, ce sont des dizaines de milliers de militants et sympathisants du parti proche du pouvoir qui les ovationnent. C’est une véritable « communion de cœur », soutiennent les partisans du chef de l’État. Selon la cellule de communication de la présidence de la République, « il s’agissait de montrer à nouveau à la face du monde, l’immense capital de sympathie et d’estime dont jouit le Président de la République, S.E. Paul Biya, auprès de son peuple. Ces populations sont venues de différentes localités du pays pour se joindre à celles de la cité capitale. Cet élan patriotique a été également observé auprès de la jeunesse camerounaise à travers sa présence remarquable dans les différents carrefours de la ville de Yaoundé et à l’esplanade de la Présidence de la République. »
Faut-il le souligner, après avoir passé près de 200 jours sans sortir du Cameroun, le chef de l’État avait quitté le 23 juin 2019, officiellement pour un court séjour privé en Europe, comme l’indiquait un communiqué du cabinet civil de la présidence de la République. Une certaine opinion avait même pensé et fait circuler sur les réseaux sociaux que le couple présidentiel se déplaçait pour des vacances annuelles.
Pourtant, à l’occasion de ce séjour en terre helvétique, les Camerounais avaient appris que la Suisse jouait le rôle de médiateur et de facilitateur dans la crise en cours dans les deux régions dites anglophones du Cameroun en vue «de préparer les futures négociations de paix entre le gouvernement camerounais et l’opposition politique ». Selon un communiqué du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), la Suisse, en collaboration avec le Centre pour le dialogue humanitaire (HD Centre), et à la demande des parties, « s’emploie à trouver une solution pacifique et durable à la crise dans le nord-ouest et le sud-ouest du Cameroun ».
C’est dire que le séjour de Paul Biya en Suisse n’était pas de tout repos. Ce qui nous rappelle la célèbre phrase de l’ex-ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary qui, répondant à une question d’un journaliste sur « les absences prolongées et répétées » du président de la République, lors d’un point presse donné en 2010 dans la salle de conférence de son département ministériel, avait affirmé que « le Président travaille partout où il se trouve ».
Nul ne pouvait raisonnablement s’imaginer que le chef de l’État se coupe ou se désintéresse de la gestion des affaires du pays à l’occasion de ses visites privées à l’étranger ou à l’intérieur du Cameroun. D’ailleurs souligne Jean-Marie Atangana Mebara dans ouvrage Le secrétaire général de la présidence de la République, publié aux éditions L’Harmattan (2016) « […] qu’il soit à l’étranger ou dans son village, il ne m’a jamais instruit de cesser de lui faire parvenir les dossiers. Et comme d’habitude, les dossiers m’ont toujours été renvoyés le lendemain ou au plus tard 48 heures après leur envoi. Je maintiens donc que ce Président s’organise pour continuer à exercer ses attributions où qu’il se trouve. »
D’ailleurs relève une source bien introduite, « c’est dans le souci de trouver une solution durable à la crise qui sévit dans les régions où vivent en majorité les Camerounais d’expression anglaise que le président de la République a effectué le voyage en Suisse. Une certaine opinion manipulée, mal informée et mal intentionnée a laissé croire que le chef de l’État allait en villégiature. ». Selon cette source, « les manifestations organisées en Suisse visaient à faire capoter les discussions fructueuses qui ont eu lieu entre toutes les parties prenantes. Certains parmi ces manifestants n’ont aucun intérêt à voir la paix revenir dans ces régions et sur l’ensemble du territoire national. Leur objectif n’est pas l’instauration d’un ordre démocratique au Cameroun et la résolution des problèmes qui se posent dans notre pays. Car il faut bien qu’à travers les manifestations, certains parmi eux justifient auprès des pays hôtes leur qualité d’exilés ou « d’opposants » au régime de Paul Biya. En réalité, Paul Biya est leur raison d’être ou d’exister. »
Unanime approbation de la médiation suisse
Par ailleurs, l’investissement de la Suisse dans la résolution de la crise dite anglophone a été favorablement accueilli par l’opinion publique camerounaise. Cette initiative a également été saluée par les États-Unis par la voie de Tibor Nagy, secrétaire général adjoint en charge de l’Afrique qui, manifestement transporté d’admiration, indiquait dans un tweet daté du 27 juin 2019 qu’il était « ravi de savoir que les Suisses facilitent le dialogue. Nous encourageons toutes les parties à participer à ce processus de négociation inclusif pour ramener la paix au Cameroun ».
Un jour plus tard, le 28 juin 2019, la réaction du secrétaire général de l’ONU allait dans le même sens. Antonio Guterres s’est félicité « de l’annonce faite par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) de ses efforts visant à faciliter la résolution de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du sud-ouest du Cameroun par le biais d’un processus de dialogue ». Le Camerounais Christopher Fomunyoh, directeur Afrique du National Democratic Institute (NDI) de Washington pense, dans un entretien accordé à RFI le 3 juillet 2019, que c’est une démarche à soutenir et à encourager, « parce qu’à cause de la méfiance qui s’est installée entre des Camerounais, à cause de la confiance qui s’effrite au jour le jour, toute tentative à l’interne entre Camerounais est difficile. Et ce serait bien qu’un pays comme la Suisse se présente comme pouvant jouer le rôle de médiateur. »
Pour Éric Acha, analyste politique et directeur exécutif de l’Africa policy forum, joint par RFI le 30 juin 2019, le choix de la Suisse n’est pas neutre. Il souligne : « La Suisse s’est mise dans une situation très compliquée et délicate et la seule manière pour le gouvernement suisse de s’en sortir, c’est de rester le plus neutre possible. Car, en effet, la Suisse – et Genève en particulier – est la deuxième maison de Paul Biya. Paul Biya gouverne même le Cameroun depuis la Suisse et il y a vécu des années, si vous comptez bien depuis son accession au pouvoir en 1982. Il a beaucoup d’investissements en Suisse. On soupçonne que la plupart des fonds qu’il a détournés au Cameroun s’y trouvent. Donc la Suisse a un intérêt particulier dans la situation du Cameroun et de Paul Biya. Ils vont avoir du mal à passer pour complètement neutres. Alors est-ce qu’ils ont décidé de se lancer dans cette médiation à cause de cet intérêt à protéger ? Ou est-ce qu’ils ont décidé de se hisser à un autre niveau pour faire une véritable médiation parce qu’ils pensent pouvoir jouer un rôle dans un conflit de cette nature ? »
Aux dires d’une source proche de la présidence de la République du Cameroun, Paul Biya n’est pas resté sourd aux arguments et propositions de ses interlocuteurs. Il ne lui reste plus qu’à rendre publique, à travers certains faits et gestes, la substance des discussions engagées lors de son bref séjour à Genève, et surtout, de passer de la parole à l’acte, au regard de l’unanime approbation de la médiation suisse par les Camerounais, les partenaires bilatéraux et multilatéraux.
Fabien Okonkwo