Le 26 août 2022 s’est finalement tenue à Douala l’Assemblée générale ordinaire de la Fédération camerounaise de Football (FECAFOOT), dûment convoquée dans les délais réglementaires, sous la présidence effective de Samuel Eto’o, président du Comité Exécutif (COMEX) formé le 11 décembre 2021 à l’issue d’une campagne et d’une élection à jamais gravées dans nos mémoires et dont la majorité des membres étaient présents. Très attendue par l’opinion publique, qu’elle soit fortement ou moins intéressée par le sport et ses implications dans la vie de la cité, cette Assemblée générale ordinaire aura été riche en enseignements et, assurément, l’avenir nous le montrera, aura contribué à entretenir la polémique ambiante autour de notre sport-roi, dans un contexte explosif.
Avant tout décryptage des nombreuses résolutions de cette session étalée sur un peu moins de 6 h de temps, on se doit de relever une absence notoire, plus même une lacune, aussi bien dans l’ordre du jour que dans les délibérations : en aucun mot n’ont été évoquées la résiliation unilatérale du contrat entre la FECAFOOT et Le Coq Sportif avec effet immédiat ainsi que la signature annoncée du contrat le plus lucratif de l’histoire du football camerounais avec un nouvel équipementier, la société australienne de droit britannique ou thaïlandais, que sais-je, dénommée ONE All Sports (ou ONEALLSPORTS, qui sait). Cette AG serait pourtant venue à point nommé pour démêler l’imbroglio tissé autour du choix du prochain partenaire principal de nos Lions Indomptables, quelque 3 mois avant le coup d’envoi de la Coupe du Monde FIFA Qatar 2022, et apporter plus de sérénité dans la préparation de cette épopée des (très) grandes ambitions, où pas moins que la victoire finale au bout de 7 matchs nous est quasiment promise par un management euphorique.
Aussi, il nous avait été promis par voie de communiqué officiel en date du 12 août 2022, depuis le siège de Tsinga, que c’est à l’occasion de la prochaine rencontre du COMEX que ce méga-deal aux contours encore et toujours flous serait validé. À ce jour, silence radio ! La patience de nous autres, réduits à commenter l’histoire de ceux, des « Grands », qui l’écrivent, n’a pas été récompensée ! Difficile de ne pas questionner ce que cache cette omission, volontaire ou pas. Y aurait-il de nouveaux éléments dans ce dossier brûlant qui empêcheraient l’annonce de l’évangile (la « bonne nouvelle ») au peuple qui n’attend que ça ? Secret des dieux. Ou du dieu.
Venons-en au rapport de l’AG et à son contenu, pour d’emblée découvrir qu’il énumère bon nombre de résolutions, 17 au total, sans en dévoiler partout les tenants. Ceci ne suffit, certes, pas pour parler de menu fretin, car toute esquisse de transparence nous change des habitudes renouvelées d’opacité du Renouveau, mais ça n’aurait pas été plus mal de freiner l’élan de polémique qui accompagne toute sortie de la FECAFOOT depuis plusieurs mois.
C’est avec une énorme surprise, je crois, que nous découvrons tous ensemble que cette association sportive est un modèle de cohésion : toutes les décisions y sont prises à l’unanimité des acteurs présents ! À l’unanimité ! Plus d’une soixantaine de Camerounais réunis à un endroit qui prennent plus de quinze décisions d’une seule et même voix ! Même pas une seule objection sur un seul thème ! S’il n’y avait pas l’exemple de la Corée du Nord, de la Chine communiste ou de la Russie de Staline ou de l’ours chevauché, j’aurais parlé de « jamais vu » ! Cela témoigne d’un leadership extraordinaire, sans aucun doute !
D’ailleurs, ce leadership est tellement apprécié que tout (ou presque) est remis entre les mains d’un seul et même homme, conformément aux dispositions statutaires, je présume, pour impulser des actions, les conduire et les finaliser. Avec l’onction pré-garantie d’un exécutif tout admiratif, j’ai failli dire à la solde. J’ai besoin de votre mandat, alors merci de me le donner ! Ou bien entérinez tout ce que j’ai décidé en amont, je vous prie, sans la moindre contestation ! Car tout ce que je fais est bon ! La toute-puissance du système ultra-présidentialiste camerounais de ces 60 dernières années, accentué à l’ère du Renouveau, trouve ainsi de manière assumée son reflet dans l’organisation associative de notre bien public ! Un modèle se perpétue dans le « changement », celui de l’autoritarisme institutionnel ! J’ai parlé, donc c’est ainsi ! En toute légalité. Quelle finesse de l’ogre ! D’autant plus que « tout ce qu’il fait est bon »…
Je ne sais pas, mais ne voyez-vous pas là des parallèles étroits avec les dogmes, la foi, l’Emmanuel, bref avec la religion ou, plus encore, avec l’Église ? Le football camerounais est devenu une religion, ou s’est confirmé comme telle, et la FECAFOOT est son église qui se réveille ! Avec son messie à elle ! Frissons…
Chez les chrétiens, la charge de l’envoyé de Dieu était tellement grande qu’il dut être sacrifié, crucifié dans la douleur, pour que l’Église de Son Père soit sauvée… Ou pour que les autres soient libérés de son omniprésente puissance… Frissons !
La Genèse nous enseigne que même Dieu se reposa le septième jour – sans que la Terre qu’il avait créée ne s’effondre. Ça pouvait donc marcher sans lui, au moins pour un jour… Un président non seulement omnipotent, mais seul potent, en tout et pour tout, ça fait peur !
Frissons !
Cette énorme concentration de pouvoir dans une main porte en elle des germes de destruction. D’autodestruction aussi ! Elle habitue l’être humain, même le plus humble, à l’asservissement de l’autre dont la destinée est et doit rester la satisfaction de ses désirs, avec les frustrations que cela peut générer. Elle nourrit en soi, justement, le désir enfoui de se perpétuer dans cette position. Et c’est exactement ce que traduit la résolution n° 13 autorisant le président de la Fédération à prolonger son mandat qui, lui, sera plus tard renouvelable dans la même nouvelle durée !
On peut, certes, arguer que le fantastique programme à dérouler nécessite plus de temps que prévu pour son accomplissement, mais le fait que cela advienne 6 mois seulement après l’entrée en fonction, au début du premier mandat, donc juste après une campagne électorale faite en connaissance de cause, est difficile à vendre comme anodin, et c’est un euphémisme ! Ce front aurait été ouvert en fin de (deuxième) mandat, au vu des résultats concrets engrangés, que la pilule serait probablement passée plus facilement. Bon, peut-être doit-elle sciemment être administrée brutalement…
Cet état de fait est d’autant plus intéressant et inquiétant qu’il est manifestement accepté bon gré par des opposants farouches aux pratiques similaires dans le landerneau politique national. Cette incohérence notoire renforce l’impression que le fanatisme messianique a de très beaux jours devant lui chez nous, que le Prêtre (d’aucuns parlent de gourou) est devenu plus important que la Parole. Si, quand et là où on l’aime. On est en droit de se demander si le changement auquel aspire la société camerounaise est bien un changement de système ou juste un changement de personnes !
Le Cameroun des innovations est, peut-être aussi, en train de déroger unilatéralement à la règle universelle – non écrite – selon laquelle les mandats électifs dans les associations sportives courent sur la durée d’une olympiade, soit 4 ans. Bah, nous ne sommes pas comme les autres (sauf quand il faut justifier la médiocrité), nous martèle-t-on à suffisance, pour dire que nous sommes meilleurs qu’eux, alors pourquoi faire comme les autres ?
À propos politique… L’exclusion du frondeur Guibai Gatama, consignée dans la résolution n° 14 du rapport, au-delà des spéculations sur sa légalité et légitimité, a une portée politique certaine que ne pouvaient ignorer les membres présents à l’AG. Ce leader plus ou moins autoproclamé d’un mouvement communautariste, au-devant de la lutte pour les intérêts du soi-disant Grand Nord, utilise en effet tout canal et toute position pour la mener. Un siège au Comité Exécutif de la FECAFOOT n’y fait pas exception. L’avenir proche nous dira ce qu’il en est. Néanmoins, l’éventualité d’un resserrement des rangs au sein de « 10 Millions de Nordistes » pour combattre une prétendue marginalisation dans le partage du gâteau national – et le football en fait décidément partie – n’augure pas de temps paisibles. Surtout quand on attribue au président de la FECAFOOT des ambitions politiques au-delà du football… Permettez-moi le doute quant à ce que la construction de l’immeuble siège de la fédération régionale du Nord, selon les termes de la résolution n° 4, soit compensation suffisante.
Les résolutions n° 5 à 7, tendant toutes à assainir les finances de la Fédération, notamment par voie de recouvrement des dettes et avoirs, sont à louer dans leur esprit. Menées jusqu’au bout, ces actions seraient ce qu’on appelle de tous nos vœux à tous les niveaux pour soigner la société camerounaise hyper-corrompue et friande de détournements de fonds. Elles seront toutefois, hélas, interprétées comme déclaration de guerre ouverte aux différents exécutifs qui ont précédé celui du 11 décembre 2021. Fini, les tiraillements de couloir, on avance dorénavant à visage découvert, et tous les coups seront permis et assénés ! Les imbrications du leadership actuel dans la marche des choses depuis 2009 et Iya Mohamed, notamment, peuvent être sources de révélations en dénigrement. Du pain béni pour adeptes de commérages et contempteurs…
Quant à la résolution n° 16 qui valide définitivement la dissolution de la Ligue de Football Professionnel du Cameroun (LFPC), à l’unanimité, comment pouvait-il en être autrement, pour concentrer les pouvoirs dans les griffes de la Fédération, elle mériterait à elle seule une compagnie de sapeurs-pompiers pour éteindre le feu allumé !
Pouvoir, religion et politique… La FECAFOOT et le football camerounais forment un cocktail explosif avec beaucoup d’ingrédients pour une déflagration imminente. Vivement que cela puisse être évité !
On pourrait à cet effet commencer par redescendre tous à la dimension d’êtres humains. Puis, une fois ceci fait, à 3 mois d’une Coupe du Monde de football qu’on a la prétention de gagner, remettre résolument le football au centre des préoccupations. Mises au vert, matchs amicaux d’envergure, nominations du groupe, voilà des exemples de thèmes qui feraient une excellente actualité pour les commentateurs de l’histoire qu’écrivent les autres, les « Grands » ! Ou bien ?
L’ogre que nous voulons créer… L’ogre que nous avons créé…
Eric L. Lingo Observateur sociopolitique