RAPPORT : Un spécialiste requis par le tribunal affirme que l’autorité administrative ayant interdit la conférence-dédicace de l’ouvrage initiée par la « Grande Palabre » du journal Germinal a méconnu les objectifs de la presse en général et ceux de la publication en particulier en la matière. Il préconise l’annulation de la décision du chef de terre et aussi l’octroi d’une réparation à l’organisateur de l’évènement manqué.
Le journal Germinal organe d’informations générales, d’enquêtes et d’analyses a-t- il vocation à organiser des conférences-dédicaces ou des conférences-débats dans un lieu public ou ouvert au public tel qu’il le revendique ? Réponse affirmative selon l’expert requis par le Tribunal administratif de Yaoundé dans le cadre de l’affaire opposant la publication dirigée par Jean-Bosco Talla, journaliste au ministère de l’Administration territoriale (Minat). Le dossier en jugement depuis 40 mois devrait connaître son dénouement le 10 septembre prochain si rien d’autre ne vient perturber le cours des choses. Le questionnement a été soumis à M. Epée Epée, expert judiciaire en Technologie de l’information et de la communication (TIC), désigné pour édifier les juges en charge du dossier. [Kalara] a pris connaissance des conclusions de son rapport d’expertise totalement favorable à la publication. L’analyse revêt un double aspect déontologique et législatif. Dans le premier volet, l’expert affirme qu’il n’existe aucun obstacle « prohibitif » à l’organisation par la presse d’une conférence-dédicace. Dans le détail, il explique qu’en affirmant que le journal Germinal n’a pas vocation à organiser une conférence-dédicace, le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé Il, auteur de la décision critiquée, méconnaît les objectifs de la presse en général et ceux de Germinal en particulier en la matière. De son point de vue, le rôle primordial dévolu à tous les médias y compris la presse écrite est d’informer l’opinion. Or, la dédicace d’un ouvrage se situe sans doute dans la mouvance de la publicité. Celle-ci ne visant qu’à assurer une large information de certains sujets, de certains actes ou de certains faits. Il indique par conséquent que l’organe de presse n’a fait que jouer son rôle en organisant une conférence-dédicace, une mission jugée au cœur de ses prérogatives. Le spécialiste affirme que « le législateur camerounais n’interdit l’organisation d’une conférence-dédicace nulle part dans l’arsenal juridique encore disponible. »
Long procès
D’un autre côté, M. Epée Epée déclare que la conférence-dédicace projetée avait pour cadre un lieu bien déterminé. Or, les dispositions de l’article 3 de la loi de 1990 relatives aux réunions publiques disent que : « les réunions publiques quel qu’en soit l’objet, sont libres. Toutefois elles doivent faire l’objet d’une déclaration préalable ». Nulle part dans ce texte, relève-t-il, il n’est fait la moindre allusion à aucun pouvoir ni droit reconnu au sous-préfet de prononcer l’interdiction d’une réunion publique contrairement au volet relatif aux manifestations publiques. Raison pour laquelle il se montre favorable à l’annulation de la décision attaquée dont il trouve les arguments « peu crédibles pour les uns et insuffisants pour les autres ». Il ajoute qu’elle est «entachée d’une illégalité flagrante et incontestable, qui frise le musèlement de Germinal aujourd’hui et d’autres organes de presse demain »
À l’origine de cette affaire, le patron de Germinal avait reçu une décision d’interdiction de sa conférence dédicace prévue à l’hôtel Somatel de Yaoundé à quelques heures du rendez-vous avec le public. C’était le 28 janvier 2016. L’acte décrié dit que le journal n’a pas vocation à organiser des dédicaces, que « La Grande Palabre » rubrique du journal n’a aucune existence légale et aussi que le rendez-vous recèle un risque de trouble à l’ordre public. Opposé à cet argumentaire, le journaliste Talla estime que M. Yampen Ousmanou, sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé II auteur de la décision a ignoré les dispositions des articles 2 à 5 de la loi du 19 décembre 1990 relative au régime des réunions et manifestations publiques. Il juge que « le trouble à l’ordre public » invoqué par le chef de terre est totalement imaginaire.
Réparation
Autre tare supposée, la décision décriée viole la liberté d’expression en ce sens que « La Grande Palabre », rubrique casée en page 12 de Germinal se situe dans le prolongement de ses missions de service public d’information, d’éducation et débat. Il réclame par conséquent l’annulation de la décision, assortie d’une réparation de 25 millions de francs CFA. Le tribunal administratif a décidé de la jonction de cette affaire avec une autre concernant les mêmes parties et ayant selon les juges, le même objet. Ce second dossier concerne un acte controversé de Jean Paul Tsanga Foe, ancien sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé 1er interdisant la tenue d’une conférence-débat de « La grande Palabre », plateforme de débats promue par le journal Germinal. Le directeur de publication a saisi la justice pour contester cet « excès de pouvoir ». En réalité, la rencontre projetée par Jean Bosco Talla avait pour convive Christopher Fomunyoh, l’hôte du jour, citoyen camerounais établi dans la diaspora, était attendu le 6 novembre 2014, jour anniversaire et commémoration de l’accession à la magistrature suprême de Paul Biya, 32 ans plus tôt, dans un hôtel pour entretenir le public, ainsi que d’autres panélistes sur le thème «Institutions démocratiques, libertés, gouvernance économique et sociale : quelles perspectives pour le Cameroun et l’Afrique d’aujourd’hui et de demain ?». Une thématique que le sous-préfet aujourd’hui à la retraite trouvait « contraire aux dispositions de la loi sur la communication sociale et au récépissé de dépôt de déclaration » présenté par l’organe de presse pour introduire, dans ses services, une déclaration de réunion publique. M. Tsanga Foe avait estimé qu’organiser une conférence-débat tel qu’envisagé par le journaliste ne faisait pas partie des missions d’un organe de presse. L’expertise d’un spécialiste clame le contraire.
Irène Mbezele
Source : Kalara, n° 307, du 5 août 2019, p.3.