Toute une vie de spectacles. Ce 19 aout et ce 1er septembre pourtant, elle a refusé de se donner en spectacle. Les micros étaient ouverts. Les cameras épiaient son sourire discret et charmeur. Mais, elle a préféré́ baisser la tete. Triste. Minée par la souffrance. Refusant que sa vie de scène s’achève sur une mise en scène. Sur une tauromachie cathodique, visant à assouvir les appétits voyeurs d’une génération impie.
Marthe Zambo Nyabanga ? Simplement, l’une des plus grandes chanteuses camerounaises vivantes – avec Rachel Tchoungui. 73 ans d’âge et 57 ans de carrière musicale. Une longévité́ aux antipodes du fast-food artistique, révélatrice de passion immarcescible autant que de talent intemporel. A l’aube de la décennie 1980, Manu Dibango retint 3 chanteuses dans l’anthologie « Fleurs musicales du Cameroun » : Anne Marie Nzié, Bebe Manga et Marthe Zambo. Il n’en reste qu’une. Dernière relique d’une génération de divas. Vestige ultime d’une époque où la musique exigeait bien plus de qualités qu’aligner onomatopées saccadées et contorsions lascives devant un appareil photo Reflex.
Marthe Zambo ? Une authentique machine à tubes. Une inspiration singulière surfant avec efficacité́ sur les fractures générationnelles et les barrières linguistiques. 17 albums et une douzaine de titres-culte solidement inscrits dans le patrimoine national, de «Sili ma Mongo» (1972) à «Malea ma muto» (1996) en passant par «Patricia», «Nyu Ma ding» (1982) et «Ma kon» (1987). Les amoureux de tous les âges doivent des slows mémorables à cette Maitresse des arts martiaux – ceinture noire de judo- et du Chant : «Ndedi» en 1970, «Avec toi» en 1979, «Les mêmes idées» en 1996. Au classement des chanteuses camerounaises ayant étalé́ des tubes sur plusieurs décennies, seules Anne Marie Nzié, Bebe Manga et Charlotte Mbango (toutes décédées) peuvent tutoyer l’ex-protégée du président tchadien François Tombalbaye.
Marthe Zambo, c’est également la consécration internationale. Loin du marketing menteur des millions de vue sur YouTube. Au-delà̀ de la fierté́ éphémère d’un Olympia rempli par l’élan communautaire. Ce dont il est question ici, c’est la reconnaissance éternelle des Académies, l’hommage traçable des pairs qui marque indélébilement l’Histoire. Car, si Manu Dibango a apprivoisé les Etats Unis avec «Soul Makossa» (samplé par Michael Jackson, Jay Z, Will Smith, Rihanna…), les Golden Sound dompté l’Afrique avec «Zangalewa» (repris par Magic System, Didier Awadi, Werra Son…), Marthe Zambo, elle, a littéralement colonisé les Antilles avec «Avec toi», remixé par Alain Marlin, Sylvian Pierron, Axel Tony….
Première chanteuse camerounaise certifiée disque d’or en France en 1979 («Avec toi»), elle a été́ béatifiée au niveau continental par un «Kunde d’honneur» remis par la première dame burkinabè à Ouagadougou, le 28 avril 2016 pour l’ensemble de sa carrière. Sous les ovations ininterrompues de Koffi Olomide et de Josey Priscille.
Dans ce que les camerounais appellent «un pays normal» (j’avoue ne pas savoir ce que c’est), Marthe Zambo aurait donc déjà̀ une étoile au «Walk of Fame», une salle de spectacles à son nom à Ebolowa ou édition-hommage du Fenac. A défaut de quoi, elle est devenue le visage scandaleux de nos misérabilismes.
Emblème de notre rapport ingrat au patrimoine.
Marthe Zambo pliée, plissée, quêtant la survie…C’est le symbole absolu de la spoliation du Talent, le marqueur le plus abouti de la chronicité́ de nos légèretés. Bien sûr, avant elle, dans l’Art musical ou ailleurs, le mépris systémique du Génie s’est exprimé avec arrogance. Son écho assourdissant recouvre la plus belle des naïvetés et empêche d’envisager l’avenir avec assurance.
Celebration confidentielle de Tataw Stephen au Palais des sports de Yaoundé après que les bars ont été́ spontanément remplis pour Neymar Jr….C’est bien la preuve, Covid-19 ou pas, que ce peuple a «footu» sa Mémoire en l’air. Que les acides de la bêtise ont définitivement dissous le respect du Patrimoine, dans une scénographie honteuse qui fait flotter le superflu d’Ailleurs très au-dessus de l’Indispensable d’Ici. Valoriser notre Identité́, protéger nos icones, professionnaliser les structures d’encadrement…Pour quoi faire ? Le braconnage de l’Imaginaire prospère. Soigneusement entretenu. Et l’on peut parier qu’il sera difficile, dans 50 ans, à un jeune camerounais de dire qui étaient Akue Ebo, Sita Bella ou Bernard Fonlon. Surtout s’il est élève au…Lycée Leclerc ou au Collège Libermann.
Egérie de notre magnanimité opportuniste.
Aux laxismes meurtriers supra cités succède un opportunisme carnassier. On clochardise, paupérise pour mieux jouer au Messie. La mécanique est d’un cynisme effrayant, efficacement condensé dans l’allégorie du «pyromane pompier». Nous saccageons les mythes, piétinons la dignité́ humaine pour construire notre propre gloire. La preuve ? Pour soulager une détresse qu’on a méthodiquement bâtie, on s’entoure d’abord de caméras et de drones. Vous croyiez le «Embedded Journalism» mort en Irak ? Il va falloir vous affranchir de vos illusions. Pendant le bal des vautours, on nous bassine d’ « instructions de la haute hiérarchie» qui auraient pourtant été́ opportunes dans la lutte contre la piraterie ou la réhabilitation du Centre culturel camerounais (CCC).. On nous serine de formules vantant d’«honorables députés» dont la pugnacité́ est davantage attendue dans le champ de la restructuration du Droit d’auteur et du vote d’une loi de qualité́ pour les associations culturelles.
Elan du cœur, dit-on. Don (chrétien) de soi. Admettons. Mais, qui se souvient encore des paroles du Christ dans Matthieu 6, 3-4 : « Quand ta main droite donne quelque chose à un pauvre, ta main gauche elle-même ne doit pas le savoir… » ?
Heyndricks N. Bile