Baccalauréat au Cameroun : une fraude intergénérationnelle en héritage

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Même en Occident on se méfie déjà des diplômes camerounais

À mon arrivée en 2002 comme étudiant dans l’une des meilleures universités au monde où j’enseigne depuis maintenant plus de dix ans, la renommée des Camerounais était bien établie : étudiants travailleurs, brillants, parmi les meilleurs. Je suis entré à l’université catholique de Louvain en Belgique avec ce prestige-là, celui d’être un très bon élément non seulement grâce à mes références académiques personnelles, mais aussi grâce à la renommée dont jouissaient les anciens étudiants camerounais, mes aînés. J’ai aussi été très bon, ce qui m’a valu une place de chercheur et d’enseignant depuis 2008 dans cette université.

Mais les choses ont changé. Le professeur que je suis désormais a eu de moins en moins de bons éléments, mais de plus en plus des Camerounais avec des licences et des maîtrises en sciences économiques sans avoir le niveau d’un bon élève de terminal: la honte est désormais mon lot quotidien quand un compatriote qui, de surcroît, bénéficie d’une bourse s’avère être un usurpateur, un tonneau vide…J’ai déjà maintes fois bu le calice jusqu’à la lie lorsque je reçois un coup de fil des autorités universitaires soupçonnant faux plusieurs diplômes camerounais. Il y a quelque trois ans, une liste d’étudiants camerounais avec de faux diplômes a été publiée dans un journal belge de grande audience. Nous sommes passés des meilleurs aux plus grands fraudeurs…

Que s’est-il passé ? De qui ces jeunes fraudeurs au baccalauréat sont-ils les héritiers, de quoi sont-ils les produits ?

La génération qui dirige le Cameroun en 2020 a bénéficié des bourses de l’État pour faire de brillantes études en Occident. Ses membres sont bardés de diplômes et sont donc avertis de ce que c’est que l’État, la chose publique et sa gestion. Le paradoxe est que c’est cette génération éclairée qui a transformé l’État camerounais en une affaire, un business. N’ayons pas la mémoire courte. Notre pays a déjà été numéro un mondial de corruption, nos prisons débordent de hauts fonctionnaires, de directeurs, de recteurs, de ministres et de secrétaires généraux de la présidence inculpés et /ou condamnés pour détournements de deniers publics. Les concours d’entrée à l’ENAM, à l’école de police, à l’école normale supérieure et dans d’autres grandes écoles camerounaises peuvent donner lieu à un feuilleton cinématographique où listes additives, listes concurrentes, listes évincées, admis sans avoir présentés l’examen, luttes entre directeurs et ministres et luttes d’influences entre tuyauteries concurrentes de corruptions peuvent constituer des épisodes fort courus. Et que dire de la bureaucratie rentière où il faut motiver pour que son dossier avance, du trésor public où une règle de pourcentage est devenue le sésame des usagers ? Que dire des primes des Lions indomptables qui disparaissent ? Que penser du fait que les milliardaires camerounais soient majoritairement des fonctionnaires ? Que dire du fait que cet enrichissement rapide soit survenu depuis les années 1980, années où l’Afrique et le Cameroun sont en crise économique ? Voilà autant d’indices non exhaustifs et des questionnements qui prouvent que ce que j’appelle la feymania d’État a fait de la fraude une culture normalisée et généralisée. Dans la mesure où l’exemple vient d’en haut comme l’avait dit Paul Biya, la diffusion de cette culture du vol, de la facilité et de la fraude va du haut de la société camerounaise vers le bas. Ces jeunes qui choisissent la fraude au baccalauréat au travail sont les dignes fils et héritiers de l’élite camerounaise aux affaires, étant donné que le secteur de l’éducation n’est pas isolé du reste de la société camerounaise.

De la feymania d’État à la feymania populaire

René Dumont, il y a quelques années, disait que l’Afrique était mal partie. Je pense que cela est valable pour le Cameroun étant donné que sa jeunesse est déjà séduite par la culture de fraude de l’élite au pouvoir. Celle-ci a installé une émulation négative contradictoire au parcours de la médiocrité à l’excellence qu’exalta le philosophe Ebenezer Njoh Mouelle.

Une fois les secteurs de l’État gangrenés par la fraude, cet État devient inefficace pour améliorer la vie des populations qui, pour rester en vie, développent à leur tour une feymania populaire : la famille cherche l’argent pour acheter le concours, le lycéen et l’étudiant cherchent « l’eau » au lieu de travailler, le commerçant vend des produits avariés, la bayam sellam met des macabos pourris sous les tas vendus et écrase la base de la boîte de dosage du riz, du haricot, du tapioca ou du sel, les benskineurs transportent trois à quatre personnes sur une moto prévue pour deux quand l’Opep man et le taxi man serrent hommes et femmes comme des sardines dans leurs véhicules. Le peuple appauvri et délaissé a aussi développé une dimension populaire de la fraude. Ceux qui vendent les épreuves du baccalauréat aux lycéens qui les vendent eux-mêmes à leurs camarades sont dans la logique suivant laquelle non seulement la fraude paie dans un Cameroun où l’État et tout ce qui le constitue font du business.

Du crayon sauveur au crayon menteur.

En 1983, je partais de mon village en pleine forêt pour présenter le concours d’entrée au lycée Leclerc de Yaoundé avec uniquement mes crayons, mes bics, ma règle, mon compas et mon rapporteur. Tout était dans ma tête : l’amour de mes parents et de nombreuses connaissances inculquées par d’excellents maîtres d’école primaire. Le concours n’avait aucune chance de m’échapper, car ma famille et mes maîtres d’école primaire m’avaient programmé à la réussite. Cette culture de l’effort, de l’excellence et de la joie de réussir honnêtement n’existe plus au Cameroun où le crayon sauveur et véridique est devenu un crayon menteur. Plusieurs évolutions l’expliquent. Pourquoi le crayon menteur ? Le premier crayon menteur traduit le fait que plusieurs longs crayons aux affaires se sont avérés être des voleurs et donc des liquidateurs de l’État. Le deuxième crayon menteur se compose de Camerounais et de Camerounaises qui, avec des réseaux performants, sont allés à l’université juste pour y acheter une licence afin d’intégrer par la suite une haute école nationale. J’ai eu des camarades qui avouaient être à l’université pour avoir une licence par tous les moyens, car ils étaient certains d’intégrer après l’école de police, l’Enam ou l’école normale supérieure. Le troisième crayon menteur est le Camerounais qui, face aux Camerounais riches sans aucun diplôme ni travail reconnus, sont humiliés parce qu’ils sont pauvres : ils sont dans une situation où avoir fait des études honnêtement rend pauvres alors que les fraudeurs sont riches. Leur long crayon devient menteur dans un contexte où être diplômé est une promesse de richesse économique.

Il y a donc une inversion des valeurs au Cameroun. Le travail, l’effort et l’honnêteté ne paient plus comparativement à la tricherie, à la fraude et au mensonge. En conséquence, ce que j’appelle « le j’ai donc je suis » est devenu la valeur suprême. C’est l’accumulation de tout : femmes, terres, voitures, maisons, argent et diplômes par tous les moyens.

Ces jeunes fraudeurs au baccalauréat l’ont bien compris, retenu et appliqué. C’est de cette culture généralisée de la fraude qu’il faut sortir pour sauver nos enfants et par là le Cameroun de demain.

Thierry Amougou

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