Recension : L’Ecole autrement, esquisse d’une pédagogie active et créative

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Multiples et divers, les maux de l’Ecole sont chez-nous, bien connus. Les plus spectaculaires se rapportent aux infrastructures frappées de carence, souvent, et d’obsolescence, presque toujours. Les moins visibles concernent le personnel aux conditions de travail hypothéquées par une précarité persistante. Ceux qui ne se donnent pas à voir aisément, qu’en conséquence on ne perçoit que rarement, et qui demandent pour cela à être rendus visibles, touchent à l’art des étapes qu’est la pédagogie.

Sur ce terrain, nous nous sommes habitués à nous laisser prescrire notre conduite par d’autres qui n’y avaient pas forcément le même intérêt que nous. Ce faisant, nous avons oublié un précepte fort opportunément rappelé en épigraphe dans L’Ecole autrement par Eugène Fonssi, à savoir, « l’école étrangère est la forme nouvelle de la guerre que nous font ceux qui sont venus.» (Cheikh Hamidou Kane, L’Aventure ambiguë). Longtemps, nous avons offert aux autres un champ d’expérimentation pédagogique. Et même un cimetière de cadavres pédagogiques de renom. A preuve, dans les années soixante du siècle dernier, ‘’notre’’ Institut pédagogique à vocation rurale (IPAR), censé nous doter du type d’Ecole spécialement conçu ‘’pour’’ nos pays agraires. Quel gâchis cela aura cependant été ! Et quel gouffre d’argent ! Faute d’une chose simple à laquelle nous peinons à nous atteler : penser par nous-mêmes une réforme, quelle qu’elle soit, avant de songer à l’appliquer. L’Ecole pour paysans de pères en fils ne pouvait pas marcher dans un contexte où le monde rural était déjà et demeure à ce jour voué à demeurer empêtré dans de sempiternels et inextricables problèmes de carences et de pénuries en tous domaines : il fallait donc être tombé sur la tête pour consentir à confiner sa progéniture à la paysannerie au moment où les enfants de la bourgeoisie se formaient aux établissements destinés à façonner les cadres du commandement ! L’IPAR a par conséquent échoué.

C’est sur un constat d’échec que s’ouvre l’ouvrage d’Eugène Fonssi significativement sous-titré, Esquisse d’une pédagogie active et créative. Maintes réformes de notre système éducatif, apprend-on, ont pu être initiées. Elles ont échoué. Et nous avons sur les bras deux sous-systèmes dont l’un, francophone, vise l’enseignement, et l’autre, anglophone, l’éducation. Leur régulation est assurée par cinq ministères ; ce qui ne fait pas seulement double, voire septuple emplois, mais crée, par-dessus le marché, un effet de « dispersion » aussi bien d’énergie que de ressources en hommes et en argent, bien entendu.

L’Etat et l’Eglise ont pris de bonnes résolutions pour améliorer le fonctionnement de l’Ecole. Mais cela reste abstrait et inopérant. Aussi subsiste-t-il le triomphe des « méthodes dogmatiques et des stratégies de transmission » qui ont le défaut de développer fondamentalement et exclusivement la « mémoire », et d’entretenir, « un subtil climat de violence symbolique », en « récompensant la conformité à des normes préétablies ». Mais le défaut principal de notre Ecole, c‘est « le management par le haut » et « la conception bancaire de l’enseignement » qui valorise à l’excès « l’acquisition des connaissances livresques au détriment des compétences (savoir-faire, savoir-faire faire, savoir-devenir) ». Rien d’étonnant, dès lors si une telle Ecole ne génère pas l’insertion des diplômés dans l’environnement économique et social. Pas plus qu’il ne saurait assurer l’autonomie de l’apprenant. Les tentatives de réforme ont, pour la plupart, cherché à « mettre du vin nouveau dans de vieilles outres » (Matthieu 9 : 17.). Mais le but doit être de stimuler la créativité de l’enfant. Aussi l’auteur dit-il à titre de « postulat : il ne suffit pas, pour changer le comportement des enseignants, de leur proposer de nouveaux contenus, mais de changer les structures d’interaction qui déterminent leur construction du monde social. ». Les tentatives de réformes ont visé à changer la « supervision » scolaire et pédagogique moyennant une « réglementation » nouvelle. Mais c’est un échec.

Ce qu’il faut faire, c’est toucher à ce qui détermine, en profondeur, le comportement des « responsables scolaires, enseignants, partenaires de l’Ecole, élèves ». Ce qui suppose la quête d’un « autre modèle d’école », c’est-à-dire, au fond, la recherche d’un modèle « autre », tout à fait autre, et non pas un de plus. Ce qui induit le recours à des « techniques innovantes » dont le livre regorge, impossible à résumer sans en escamoter la substance, et dont il faut simplement recommander chaudement la mise en œuvre aux professionnels de l’enseignement et de l’éducation. A titre d’exemples non exhaustifs, signalons, en passant, « le projet de classe » (pp 58 sq), l’ « enseignement mutuel » (pp 65 sq), le « tribunal de l’histoire » (pp 72 sq), l’évaluation des enseignants par leurs élèves (pp 150 sq).

Précisons surtout que les trois principes fondamentaux de la pédagogie active et créative préconisée par Eugène Fonssi se rapportent aux « sens divers », à l’ « interaction », et à « la responsabilité réciproque ». La matière fondamentale du livre consiste, au demeurant à les expliciter, illustrer abondamment, en en établissant la fécondité au plan de la réforme de l’Ecole.

L’avantageux ici c’est le rapport tout à la fois d’appropriation et de novation que l’auteur s’impose : on a souvent pensé, à notre usage, des doctrines spécialement conçues « pour » nous, et dont l’originalité supposée « africaine », ou « camerounaise », était mise en avant, par différenciation d’avec tout emprunt, arbitrairement taxé tantôt d’ « européanisme », tantôt d’ « occidentalisme ».

Il faut savoir gré à Eugène Fonssi de ne nullement prétendre à ce type d’originalité pour pense-petit. Il ne pense pas qu’on a résolu un problème dès lors qu’on y a trouvé une solution baptisée ‘’africaine’’, ou ‘’camerounaise’’. Loin de là : il assume, sans complexe, sa vaste culture pédagogique à la faveur de laquelle il nous fait, sinon découvrir, du moins relire avec ses yeux à lui, l’héritage pédagogique de l’humanité, qu’il soit de provenance européenne, américaine, asiatique, ou africaine et camerounaise. L’intéressant, c’est que l’auteur repense tous ces héritages de sorte à développer envers eux une relation de novation. Voici comment il s’y prend : il ne pose pas que ce qui vient d’ailleurs serait mauvais pour nous en raison de son origine étrangère. Tout comme il n’a pas la naïveté et la sottise de croire qu’il suffirait, pour qu’une chose soit bonne, qu’elle ait partie liée avec nous, notre culture, nos traditions, notre milieu, nos appartenances, nos extractions diverses. Eugène Fonssi ne confond donc pas origine et valeur.

Qu’est-ce donc qui fait la valeur des choses à ses yeux ? Essentiellement le projet de nous-mêmes saisi à l’aune de ce que nous voulons devenir. C’est en effet en raison directe de cette anticipation de nous-mêmes, tout à la fois comme individus, personnes, citoyen (ne) s, et société globale, qu’une conception pédagogique donnée peut être jugée bonne ou mauvaise pour nous. Tout autre critère de choix est spécieux : la valeur est fonction de la catégorie de l’avenir. Est d’essence bonne toute pédagogie qui nous assure un avenir meilleur.

Qu’est-ce donc qu’un tel avenir ? En répondant implicitement à cette question, l’auteur indique en même temps à quelles conditions la Pédagogie Active et Créative ou P.A.C, par laquelle il entend réformer l’Ecole chez-nous, est possible. Les pages 199 à 221 abondent de remarques instructives à ce sujet. Retenons qu’il s’agit de construire un nouvel homme, à la fois enraciné et ouvert, tolérant, qui n’attend pas qu’en raison de ses peaux d’âne toutes les portes des emplois lui soient ouvertes, mais qui est apte, lui-même, à créer des emplois, en raison justement de ses compétences acquises à la nouvelle Ecole.

L’avenir auquel nous sommes ainsi conviés est celui de la créativité : ce qui nous permet d’être créatifs, de nous fournir nous-mêmes en biens et services de toutes sortes, voilà ce qui, aux yeux d’Eugène Fonssi, incarne la valeur et l’avenir. Et c’est aussi ce à quoi l’Ecole doit servir pour avoir un sens et une utilité pour nous.

Guillaume-Henri Ngnépi

Philosophe.

*Eugène Fonssi, Recension L’Ecole autrement, Esquisse d’une pédagogie active et créative, Clé, Yaoundé, 2018.

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