Engelbert Mveng : Itinéraire prométhéen d’un prophète incompris

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Le Père Engelbert Mveng nous a laissés un héritage immense. Il était à la fois, théologien, homme de science et de culture. Ses œuvres et sa parole resteront à jamais graver dans la conscience de ses concitoyens et des citoyens du monde. Dans la nuit du 22 au 23 avril 199, des mains impies ont privé des générations de cette pluie, de cette source vivifiante sans laquelle la vie n’a aucun sens, sans laquelle une germination n’est possible. Sa trajectoire n’était-elle pas déjà symbolisé par son nom ?

Mveng (Engelbert), qui veut dire pluie, voit le jour le 9 mai 1930 à Enam-Ngal, paroisse de Minlaba rattachée à la commune de Ngulemakong (Sud-Cameroun). Son père, Jean Amugu est cultivateur. D’abord marié à une veuve qui meurt quelques années après le mariage, il rencontre Barbara Ntolo, originaire de Mvengue (Sud-Cameroun) qu’il prend comme épouse. De leur union naissent deux enfants : Engelberg Mveng et sa sœur Amugu.

Photo archive: Père Mveng

Auprès de ses parents protestants, Engelbert. Mveng reçoit une solide éducation religieuse. Il est très tôt remarqué par P. Pichon, Père spiritain qui milite contre les travaux forcés. Le jeune Mveng lui parait très éveillé par rapport à son âge. Il n’a que 5 ans. Il a le verbe facile et apprend vite. Ses parents sont fiers de voir un blanc s’intéresser à leur enfant. Ceux-ci nourrissent l’espoir de le voir devenir leur digne héritier comme il est de coutume dans leur tradition. Il continuera donc l’œuvre de ses parents.

Il est baptisé le 14 juillet 1935 à de Minlaba à l’âge de 5 ans. 7 ans plus tard, le 28 juillet 1942, il reçoit la confirmation.

Très tôt repéré pour son intelligence, il est recueilli par le Père Hebrard, successeur du Père Pichon. Il en fait son garçon de chambre, communément appelé « boy ». D’après Jean-Paul Messina, « ce type d’engagement était scellé par un contrat qui obligeait le petit Africain à exécuter les tâches domestiques au profit du Père, et en contrepartie, lui donnait droit à la nourriture, aux vêtements et à la scolarisation ».

À l’âge de 6 ans environ, c’est-à-dire vers 1936, il est inscrit à l’école primaire de Minlaba. Ses études se déroulent sans difficulté et s’achèvent en 1942. Cependant, à cause d’un conflit qui l’oppose à son père spirituel, il doit encore rester à la mission, le temps de décider de ce qu’il fera et de ce qu’il deviendra.

Connaissant les aptitudes intellectuelles et spirituelles et son « domestique », le père Hebrard avait compris que le jeune prodige pouvait aller loin comme serviteur de l’Église. À la rentrée scolaire 1943-1944, il est inscrit à Efok, localité où étaient évaluées au plan moral, spirituel et intellectuel les vocations issues des différentes missions catholiques. Son séjour dans cette localité se déroule dans des conditions très difficiles.

Père Engelbert Mveng

À la rentrée 1944-1945, il est envoyé au petit séminaire d’Akono où il rencontre le feu Alexandre Biyidi alias Mongo Beti, d’autres personnalités et sommités bien connues des Camerounais(es). Dans cet établissement, il connaît un parcours régulier. Il est admis en 5e en 1945, réussit l’entrée en 4e en 1946, puis en 3e en 1947, en seconde en 1948 et en première en 1949.

Après la classe de première, il connaît une période de probation à Akono où il devient enseignant stagiaire en 1949-1950. Il y dispense les cours de latin et du grec aux élèves des classes de 5e. Malgré ses difficultés vocales, il donne aussi des cours de musique, en plus des cours de dessin qu’il donnait déjà depuis la classe de seconde. Son désir de devenir prêtre reste ferme.

À la rentrée scolaire de septembre 1950, il est admis, avec 18 autres candidats, au grand séminaire d’Otélé où son projet de venir jésuite prend forme. « C’est l’époque des pères de Lubac et Theillard de Chardin, considérés par Rome comme les théologiens qui dérangent », affirme le Père jésuite Alain Renard. Tout porte à penser que le jeune Mveng avait été séduit par la foi et la liberté de pensée et d’expression de ces théologiens. C’est au cours de cette année 1950 qu’il décide de devenir jésuite.

Le 21 septembre 1951, Engelbert Mveng arrive au premier noviciat des jésuites d’Afrique noire créé en 1948 à Djuma (localité située dans le Kwilu, République démocratique du Congo) où il séjourne pendant trois ans.

En 1954, il quitte Djuma pour l’Institut Saint Robert Bellarmin de Wépion (Belgique) où il étudie la philosophie pendant quatre ans, de 1954 à 1957. En Belgique, il entre en contact avec le Père Theillard de Chardin. Il est marqué par la place qu’occupe le thème de la vie dans l’œuvre de ce brillant collègue qu’il n’avait fait connaissance qu’à travers les écrits. Au fur et à mesure qu’il avançait dans la connaissance de la civilisation occidentale, il se posait des questions sur l’historicité du monde africain.

En 1957, Engelbert Mveng quitte la Belgique pour la France où il étudie la philosophie pendant un an.

Une réalisation du Père Mveng

Après ses études en philosophie, il rentre au Cameroun et effectue un stage apostolique de trois ans, de 1958 à 1960, conformément au parcours habituel des Jésuites. C’est la période de régence au cours de laquelle le futur jésuite met en pratique tout ce qu’il a appris antérieurement. Au cours de cette période, il est observé et apprécié par ses frères et son supérieur. Ceux-ci apprécient ses capacités à intégrer la vie communautaire avec ses contraintes, ses exigences disciplinaires ; sa serviabilité et ses aptitudes intellectuelles et spirituelles. C’est dire si la période de régence est une étape capitale pour le futur jésuite.

Pendant cette période, il est enseignant au collège Libermann de Douala où les jésuites viennent de s’installer. Dans cet établissement, il est chargé des cours de grammaire et d’histoire auxquels s’ajouteront le matin et le grec. Selon certaines sources, il a été le professeur de nombreuses personnalités de la République du Cameroun. Parmi celles-ci, des noms tels que Guillaume Bwellé, Louis Yinda, Bipoum Woum, etc. sont avancés. Ses collèges, ses anciens élèves et ses supérieurs sont unanimes pour reconnaître que le régent Mveng était très exigeant et doué d’une grande compétence, d’une serviabilité et des qualités pédagogiques à nulle autre pareille.

Au cours de ses conférences sur la culture africaine, il ne cessait de susciter chez ses élèves et auditeurs une prise de conscience sur l’identité culturelle de l’Afrique noire. Au cours de l’une desdites conférences, il avait critiqué tous les ornements occidentaux (vestes, cravates) dont se drapent ceux qui « singent l’homme blanc » en déphasage avec les climats et les réalités africaines. « Le lendemain, les élèves, pour marquer leur adhésion à son discours, étaient venus en classe, dans une large majorité, habillés en tissu cotonnade noué autour des reins. Mais, ce retour subit à l’authenticité africaine ne plut pas à Mveng qui tança ses élèves. » ( Messina, 2003). L’homme était paradoxal, il fallait l’accepter ainsi et vivre avec, conclut l’auteur de Engelbert Mveng ; La plume et la pioche. Un message pour le 3e millénaire.

Cette période de régence sera aussi un moment important pour sa vie d’artiste doublée de celle d’historien. Au cours de cette période, il se rend à Founbam en compagnie du père Éric de Rosny. Dans cette localité connue pour les prouesses artistiques de ses habitants, Engelbert Mveng s’initie aux mystères de l’art traditionnel : « intuition des formes et des lignes, les couleurs, les techniques de sculpture et dessin, mais aussi, et surtout la signification des symboles ». Il s’est également initié auprès des artistes bamiléké. Il a séjourné à Bandjoun, Bafoussam, Foumban. Pendant ladite période, il réalise des œuvres d’art splendides. Parallèlement, il entreprend des recherches sur l’histoire du Cameroun.

À la fin de la période de régence, il s’envole pour la France afin d’entamer les études de théologie. À la rentrée 1960-1961, il s’inscrit au Collegium Maximum de Chantilly pour le cours majeur. L’année d’après, la province de Paris le prend en charge pour sa deuxième année de théologie au Collegium Maximum de Lyon. C’est dans cette province qu’il achève, en 1962 probablement, la rédaction de son ouvrage, Histoire du Cameroun qui est publié aux éditions Présence africaine en 1963. Cet ouvrage reçoit le prix Broquette-Gonin et la médaille de l’Académie de France d’Outre-mer. La même année, il publie aux éditions Mane sa première œuvre d’art graphique, « Chemin de croix », sous le titre Si quelqu’un… dont il dira lui-même que ce chemin de croix résume toute sa pensée et toute sa béatitude (Père Alain Renard).

Un livre du Père Mveng

Par la suite il part pour Lyon où pendant trois ans, il approfondit la théologie. Le 7 septembre 1963, il est ordonné prêtre avant la fin de ses études en théologie en 1964. Sa thèse de doctorat troisième cycle en théologie, soutenue en 1964, est consacrée à saint Augustin l’Africain.

 Au cours de la période conciliaire, 1962-1965, qualifié par le Professeur Muiji Malamba «d’ivresse culturelle». Engelbert Mveng donne des conférences à Rome.

En 1965, Engelbert Mveng rentre définitivement au Cameroun bardé de diplômes et titres universitaires.

Au cours de son long séjour hors de sa terre natale, il perd sa mère et sa sœur. Son retour au pays natal ne met pourtant pas fin à ses études universitaires, encore moins, à ces activités dans le domaine culturel. C’est ainsi qu’en 1966 à Dakar au Sénégal, il est l’un des organisateurs du premier festival mondial des Arts nègres.

En 1968, il s’inscrit à l’université de Dakar et obtient en 1969 les certificats de latin et de grec. Il s’adonne ensuite à la recherche archéologique au Cameroun. Il fait des investigations à Ngoro (1966), à Mimetala (1968) et à Mvolyé (1970). Au même moment, il s’intéresse à l’inculturation et à la liturgie. En 1970, il soutient sa thèse de doctorat d’État à la Sorbonne où il s’était inscrit après l’obtention de son doctorat de troisième cycle. Sa recherche est intitulée : Les sources grecques de l’histoire négro-africaine depuis Homère jusqu’à strabon. Il lance la même année le Mouvement des intellectuels africains (MICA)

Le Génie du Père Mveng

En 1975, il fonde le collège le Sillon qu’il baptise du nom de son unique sœur décédée : Le collège Jeanne Amougou. En 1980, il crée l’Association religieuse dénommée Les Béatitudes, dénomination qui dévoile l’intention spirituelle qui guide sa marche vers Dieu. Cette famille représente son œuvre ultime.

Parallèlement à sa mission pastorale, il assume ses fonctions académiques au département d’histoire de l’Université de Yaoundé de 1983 à 1986. Il est membre fondateur de l’Association œcuménique des théologies africaines (AOTA). Il réalise plusieurs œuvres dont la mosaïque qui orne le cœur de la Cathédrale Notre Dame des Victoires de Yaoundé.

À partir de 1989, l’atmosphère de la communauté les Béatitudes devient invivable. La crise qui couvait éclate au jour en 1990. Le Père Engelbert Mveng vit très mal cette crise. Il est même obligé de justifier, de se soumettre et à accepter contre son gré certaines décisions.

En 1992, il fonde le Centre africain de la recherche sur l’inculturation (CERI) et suit de près la préparation du Synode africain.

En 1994, il participe à Rome aux séances de ce synode. Il est lâchement assassiné dans la nuit du 22 au 23 avril 1995, à son domicile.

Devenues orphelins, les générations actuelles et futures ont reçu en héritage une pluie de savoirs.

Emma Bata

Sources : Patrimoine n° 0013, avril 2001

CEEM News n°5

Jean-PauL Messina, Engelberg Mveng. La plume et la pioche. Un message pour le 3e millénaire (1930-1995), Yaoundé, Presse de l’Ucac, 2003, 192p.

Aperçu bibliographique du Père Engelberg Mveng

  • Si quelqu’un… Chemin de croix, Tours, Mame, 1962
  • Histoire du Cameroun, Paris, Présence africaine, 1963
  • L’Art d’Afrique noire. Liturgie cosmique et langage religieux, Paris Mame, 1964
  • La plume et la pioche, Yaoundé, Clé, 1971
  • Balafons : Poèmes, Yaoundé, Clé, 1972.
  • L’art et l’artisanat africains, Yaoundé, Clé, 1980.
  • Colloquium on civilization and Education, Lagos, 17th-31st january, 1977, Editors, A.U. Iwara, E. Mveng.
  • Le Cri de l’homme africain, Paris, L’Harmattan, 1980
  • L’Afrique des villages, Paris, Karthala, 1982
  • De l’assistance à la libération, Les tâches actuelles de l’Eglise, Paris, Centre Lebret, 1981
  • Voici le temps des héritiers. Eglises d’Afrique et voies nouvelles, Paris, Karthala, 1981.
  • La ville en Afrique noire, Paris, Karthala, 1983.
  • Ma foi d’Africain, Paris, Karthala, 1985.
  • Fede et liberazione in Africa, Assisi, Citadella Editrici, 1986
  • L’Afrique dans l’Église. Paroles d’un croyant, Paris, L’Harmattan, 1985
  • Spiritualité et libération en Afrique, (dir.), Paris, L’Harmattan, 1987
  • Cheikh Anta Diop, ou l’honneur de penser, Paris L’Harmattan, 1989.
  • Quand l’Etat pénètre en brousse…Les ripostes paysannes à la crise, Paris, Karthala, 1990
  • Les messages de Jean-Baptiste. De la convention à la réforme dans les églises africaines, Yaoundé, Clé, 1992
  • Afrique : L’irruption des pauvres. Société contre ingérence, pouvoir et argent, Paris, L’Harmattan, 1994
  • Restituer l’histoire au sociétés africaines. Promouvoir les sciences sociales en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1994.
  • Théologie libération et cultures africaines. Dialogue sur l’anthropologie négro-africaine, (En collaboration avec Lipawing (B.L.),)  Yaoundé/ Paris, Clé/ Présence Africaine, 1996.
  • Innovations sociales et renaissance de l’Afrique noire. Les défis du « monde-d’en-bas », 1998
  • Les Eglises face à la mondialisation. Quatre réflexions théologiques, Bruxelles, 2000
  • Guide pédagogique de formation à la recherche pour le développement en Afrique, Paris L’Harmattan,2000
  • Repenser la théologie en Afrique. Le Dieu qui libère, Paris Karthala, 2003.
  • Fécondité et migrations africaines. Les nouveaux enjeux. (en collaboration avec Anne-Sidonnie Zoa), Paris L’Harmattan, 2006.
  • Travail et entreprise en Afrique. Les conditions sociaux de la réussite économique, Paris, Karthala, 2006.
  • L’Afrique à l’ère du savoir : savoir, société et pouvoir, Paris L’Harmattan, 2006.
  • De l’assistance à la libération, Les tâches actuelles de l’Eglise, Paris, Centre Lebret, 1981

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