Promise à un bel avenir, la localité de Bokito située dans le département du Mbam et Inoubou n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Cette unité administrative du département du Mbam et Inoubou, région du Centre doit sa réputation au célèbre sable Sanaga qui y est extrait pour construire villas, duplex et autres châteaux de mille-et-une nuit qui font la fierté de la capitale Yaoundé et ses environs. Paradoxalement Bokito concentre tous les signes extérieurs du sous-développement : absence de route, de bâtisse digne de ce nom, d’éclairage public. Bref, la misère est partout.
Bokito, comme un cordonnier mal chaussé !
Depuis la faillite de la compagnie de transport urbain Ramline qui proposait des voyages directs Yaoundé-Bokito, une escale devient obligatoire pour qui veut rallier cet arrondissement situé à 120 kilomètres de la capitale politique du Cameroun. Les bus des agences Amigo et Leader qui opèrent dans le Mbam et Inoubou ne traversent pas Bafia-ville. Il faut poursuivre le trajet en « Opep », ces vieilles voitures dans lesquelles les passagers sont serrés comme des sardines dans une boite de conserve. Pour Bafia-Bokito, soit 22 kilomètres, le voyage paraît interminable. La route ou ce qui en tient lieu inflige une véritable torture au véhicule surchargé et ses clients tenaillés par les courbatures. Ainsi commence la désillusion.
« Nous sommes déjà arrivés. Voici la ville de Bokito », lance le conducteur avant d’arrêter le moteur de sa vieille Carina 92. Incroyable pour qui sait que l’arrondissement de Bikito, anciennement Sud-division du même nom a été créé en…1958. La localité est restée immobile, pour dire le moins. La ville se réduit à quelques vieilles maisons mal entretenues bordant l’unique axe mal entretenu que les populations doivent emprunter pour pouvoir vendre leurs produits en ville ou y acheter un bien et service. « Vous avez la chance qu’il n’a pas plu. Je vous conseille de retourner avant la tombée de la première goutte de pluie », insiste notre guide. Le conseil vaut son pesant d’or. Il suffit d’avancer dans les quartiers pour s’en rendre compte. Toutes les routes sont en piteux état. « Ma voiture est garée depuis. Je suis obligé d’aller au travail à pied », avoue M. Betimegny. A la question de savoir ce que fait le conseil municipal dont il est membre pour alléger les souffrances des populations, le premier adjoint au maire de Bokito pointe un doigt accusateur sur l’hypercentralisation et le manque de collaboration entre le maire et ses adjoints. « En tout cas, je suis un maire sans portefeuille. Je ne sais donc pas quoi vous répondre », lance-t-il, dépité.
Les conséquences du malaise qui couve au sein de l’exécutif communal sont omniprésentes. Malgré les financements du Programme national de développement participatif (Pndp) et des différents départements ministériels dans le cadre du transfert des ressources de la décentralisation, Bokito ressemble à une ville fantôme. Le problème c’est que tout se fait dans le flou total. « Les ordonnateurs de dépenses sont encore ceux qui gagnent les marchés à travers les sociétés écrans. Dans cette configuration, pas besoin de livrer le marché pour se faire payer », râle un ancien fonctionnaire, élite du coin. Les 100 millions transférés récemment n’ont pas permis de relancer les chantiers à l’abandon dans l’arrondissement. Ernest P. n’a pas de doute. « Depuis deux ans, le maire et son équipe nous ont expliqué que tout est bloqué parce que l’Etat n’a pas versé les fonds attendus dans le cadre de la décentralisation. L’argent a été versé et ils ne disent plus rien », regrette ce moto taximan. « Les agents de la mairie sont venus racler cette route et nous ont promis qu’elle devait être recouverte de pavés. Les rigoles ont été construites et depuis deux mois, ils ont disparu », ajoute son collègue.
70 000 camions de sable commercialisés par an
Effectivement les rigoles ont été construites le long des deux côtés de l’axe routier qui va de la gare routière au marché de Bokito. Impossible de savoir quand est-ce que les travaux reprendront. Pareil pour l’immeuble (R+1) qui devait donner un visage de modernité à ce marché. « Cet immeuble était financé sur fonds propres de la commune. On nous a demandés d’arrêter les travaux sans nous donner plus d’informations », nous explique un ancien agent communal. Dans le hangar construit par le Pndp, ordures, poussière et petits rongeurs ont précédé les commerçants. La nuit, les ruelles mal entretenues ne sont pas éclairées. Les malfaiteurs en profitent pour commettre leur forfait. « Il ne fait pas bon vivre » ici, lance une productrice de patate douce.
Pourtant, Bokito a tout pour devenir l’un des arrondissements les plus développés du Cameroun. L’arrondissement dispose de vastes terres agricoles très propices pour la culture du cacao, patate, ananas… Le fleuve Sanaga qui traverse Bokito sur des kilomètres approvisionne le département en poisson et surtout en sable.
Le sable Sanaga est justement l’identité remarquable de Bokito. Dans les chantiers, il est fortement utilisé pour solidifier les constructions. Les ingénieurs le préfèrent pour sa propreté et son uniformité. Autant d’atouts qui font les bonnes affaires de la commune de Bokito qui a installé un poste de perception au niveau du pont d’Ebebda. Selon les sources internes à la mairie de Bokito, le sable Sanaga rapporte plusieurs millions par semaines. « Le poste d’Ebebda est tenu par les agents de la mairie. Ils perçoivent 3000 FCFA sur chaque camion de sable extrait dans la Sanaga et particulièrement la partie qui dépend de l’arrondissement de Bokito », nous explique ce conseiller municipal. Et d’ajouter : « Certes, les recettes fluctuent, mais je peux vous confirmer que le poste d’Ebebda rapporte jusqu’à quatre millions de FCFA », ajoute notre source. Un petit calcul nous permet de constater que la vente de sable rapporte plus de 200 millions de FCFA. Pour atteindre ce montant, il faut commercialiser environ 70 000 camions par an. Ce que confirme M. Betimegny, premier adjoint au maire de Bokito.
Olivier Atemsing Ndenkop
Envoyé spécial.