Polémique autour des Doctorats professionnel et de spécialité : l’éclairage des Professeurs Jean Tabi Manga et Jean Gatsi

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La publication par actustime d’un article sur l’interdiction par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, du Doctorat professionnel dans les universités publiques camerounaises, a suscité une vive polémique. Pour lever toute équivoque, et favoriser la bonne compréhension de la question, deux éminents professeurs d’université, les Professeurs Jean Tabi Manga et Jean Gatsi, ont saisi la balle au bon dans des forums, pour apporter des éclairages sur les origines du Doctorat professionnel et sur la différence entre ce doctorat et le doctorat de spécialité. Lisez plutôt !

Aux origines de la création du doctorat professionnel en zone Cemac, par Jean Tabi Manga*

Vos échanges sur le Doctorat professionnel m’intéressent quoique je ne sois plus directement en charge de ces problèmes.

La grosse difficulté liée à ce problème et qui complique son intellection vient de ce qu’au Cameroun nous n’avons pas su ou pu intelliger suffisamment les orientations et recommandations de la Conférence des Recteurs et Responsables des Centres de Recherche de l’Afrique centrale (CRUROR- AC) dans le cadre de la CEMAC. Cette instance avait été créée par le Vice-Premier ministre Jean Nkuete à l’époque en charge de la Commission CEMAC.

Nous étions alors convaincus, lui et moi (à l’époque Recteur de l’Université de Yaoundé 1-UY1) qu’on ne peut pas bâtir l’unité de l’Afrique exclusivement sur une référence politique (sommets des chefs d’État, conférences ministérielles…), il fallait, à l’image de la construction européenne, commencer à bâtir une Afrique des peuples et communautés afin de construire un modèle de gestion de la pluralité démocratique en contexte de démocratie dans la mondialisation.

Par ailleurs, dans cette logique, il nous apparaissait commode de commencer par unir nos universités comme en Europe, au temps d’Erasmus.

La 1re CRUROR s’est tenue stratégiquement à Malabo, la 2e, je l’ai accueillie à UY1. C’est là où le Recteur de Libreville pose le problème du LMD nous informant que le Président Omar Bongo a décidé de faire basculer son pays dans ce système pour être en harmonie avec le système mondial. La question n’était pas à l’ordre du jour. Sous ma présidence, je proposai le renvoi de cette question à la 3e CRUROR qui devait se tenir à Franceville au Gabon.

C’est là que nous avions proposé aux chefs d’État le basculement progressif de nos pays dans le système LMD

Cependant, la conférence ministérielle présidée par le ministre Pierre Moussa du Congo décida du basculement immédiat et le proposa aux chefs d’État qui ont entériné cette décision et validé le principe

La Commission/CEMAC prépara dans la rapidité et l’urgence les textes d’orientation à des fins d’application immédiate dans les États membres de ce nouveau paradigme académique. Cela s’est fait et se fait dans l’impréparation et parfois l’improvisation et l’appréhension incomplète et imprécise des concepts fondamentaux liés à ce nouveau modèle académique, les universités africaines n’avaient pas eu le temps de s’approprier, d’intelliger ces Directives d’autant que l’insistance sur la professionnalisation signifiait bien qu’à l’heure de la mondialisation pilotée par le néo-libéralisme économique, l’université devenait un instrument au service de l’économie-monde et de ses industries . .. Par ailleurs, l’autre grande difficulté était que les universités africaines n’avaient pas la même taille ni le même niveau de développement et d’outillage intellectuel pour réussir efficacement cette greffe académique.

Beaucoup de questions restèrent en étude et en suspens comme la mobilité des étudiants et des chercheurs dans l’espace/ CEMAC à l’issue d’un travail exigeant de mise en convergence des curricula. C’est le cas du problème du fameux Doctorat professionnel. Le problème fut renvoyé à la CRUROR de Brazzaville à laquelle j’ai pris activement part (au titre de Recteur de l’UY2) après avoir travaillé ce dossier avec mon DAC (Directeur des Affaires académiques qui était le Pr Ondoa Magloire, actuel Recteur de l’université de Douala) et en lien avec mes estimés collègues Vice-Recteurs les Pr Pougoue et Minkoa She. Notre délégation influença les débats sur la nécessité de maintenir une cohérence dans ce système doctoral en créant à la suite des Masters professionnels un Doctorat professionnel qui serait le pendant d’un Doctorat « scientifique, académique ». Mais, ce doctorat serait mis en œuvre en fonction de la taille de l’université, de son niveau de développement, de sa capacité à répondre efficacement à la demande de formation professionnelle des industries et entreprises locales. Cela devait s’accompagner d’une réglementation administrative qui devait encadrer sa création et son développement.

L’esprit de ce doctorat est proche de celui du doctorat de spécialité qu’on appelle aussi doctorat d’exercice. Je réponds ici à Mme Alicia Mbolo qui a posé la question. Ce Doctorat ouvre la possibilité d’exercer un métier encadré par un ORDRE, comme l’Ordre des médecins.

Cependant, il n’ouvre pas directement l’accès au magistère universitaire

Notre difficulté, au Cameroun, est de n’avoir pas su ou pu actionner simultanément les 2 logiques : académique et administrative. Sinon, dans la logique de la CRUROR, le Doctorat professionnel a du sens et fait signe

Professeur Jean Tabi Manga

Recteur Honoraire

* NDLR : Ce titre est de la rédaction

La différence entre le doctorat professionnel et le doctorat de spécialité, par Jean Gatsi

Une polémique vient d’être créée sur les doctorats de spécialité que l’on confond au doctorat professionnel. La présente note vise à apporter les éclairages nécessaires sur le doctorat professionnel afin de faire taire la polémique.

Le Doctorat de spécialité est conforme aux résolutions de la conférence des recteurs tenue à Yaoundé en 2017 et qui avaient pour principale orientation que les titulaires de Master puissent être inscrits en doctorat. Une seule condition avait été exigée aux titulaires d’un master professionnel d’avoir obtenu au moins la mention bien.

Contrairement au doctorat professionnel qui admettait la validation des acquis de l’expérience, le doctorat de spécialité est un PhD soumis aux mêmes conditions d’éligibilité que les PhD classiques, c’est-à-dire pour l’étudiant avoir un Master ou un DEA. Il n’y a donc pas de confusion avec le doctorat professionnel.

Le doctorat de spécialité qui est un PhD se différencie des PhD classiques en ce qu’il ouvre la voie à la spécialisation des études doctorales de sorte que le titulaire puisse se prévaloir d’une compétence spéciale à l’intérieur des grandes options d’études qu’offrent nos facultés et grandes écoles.

Si nous prenons au sein du droit privé, l’option droit des affaires, plusieurs spécialités s’offrent au candidat qui aura donc l’opportunité de développer une compétence spéciale dans les champs tels que le droit des ressources naturelles ; le droit bancaire et financier ; juriste-conseil d’entreprise ; droit et contentieux douaniers, etc. Dans l’option droit public, le doctorant a l’opportunité de se spécialiser dans le droit et contentieux financier et des comptes publics ; en droit de l’Homme et État de droit, etc.

Les exemples peuvent se multiplier en évoquant les différents domaines des savoirs dans les écoles doctorales.

L’avantage de ce doctorat est qu’il porte la mention de la spécialisation qui est obtenue après trois années au moins de formation se soldant par la soutenance de la thèse.

Professeur Jean Gatsi

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