Depuis près d’une semaine, la conversation sociale globale est dominée par la thématique des effets sociaux probables de la hausse de certains produits pétroliers au Cameroun.
La communication institutionnelle autour de cette réévaluation à la hausse aura été minutieusement étudiée, en vue de limiter les effets de colères probables.
Depuis lors, une certaine fébrilité sécuritaire semble s’observer, notamment dans les grands centres urbains du pays.
Le journaliste et homme de média réputé Bruno Bidjang qui vient d’être interpellé, constitue probablement l’une des premières victimes de ce stress sécuritaire.
Le Groupe qui l’emploie vient de prononcer une fatwa interne à tout journaliste employé du groupe, qui prendrait encore la liberté de commenter l’actualité.
Cascades de crises
Le Cameroun contemporain entretient en effet des foyers complexes de crises en cascades (crise sécuritaire, crise sanitaire, crise de la voirie urbaine, crise des ordures, crise énergétique, crise de redistribution des ressources publiques).
Ces crises elles-mêmes se nourrissent de formes complexes de pénuries agrégées, de précarité, d’inégalités entretenues, de violences sociales ciblées, de dysfonctionnements de l’offre publique de gouvernance et de délinquances séniles.
Tout ceci alimente des foyers de tension (des menaces de grèves à répétition et difficilement contenues des syndicats dans les milieux de l’éducation notamment) qui fragilisent davantage la paix sociale.
Le spectre de 2008
Au milieu du premier trimestre de l’année 2008, le Cameroun fit brutalement l’expérience des conséquences sociales et politiques d’une hausse de 16 francs CFA du prix du carburant à la pompe.
Au lendemain de l’annonce par le Gouvernement de cette réévaluation du prix de certains produits pétroliers, quatorze organisations du secteur des transports terrestres urbains et interurbains initièrent un mouvement de protestation sous le mot d’ordre d’une grève illimitée.
Le mouvement contamina de larges secteurs de la société urbaine composés pour l’essentiel, de jeunes gens socialement exclus, qui exprimèrent sous un mode extrêmement violent, leur crainte de voir davantage se dégrader leurs conditions déjà pathétiques de pauvreté.
Ces émeutes que l’on baptisa d’émeutes de la faim, secouèrent une semaine durant, la plupart des grands centres urbains du pays, semèrent la panique dans certains milieux gouvernants, et ne furent pas circonscrits au Cameroun. La plupart des spécialistes notèrent la congruence de ces émeutes avec les fluctuations liées à la hausse du prix du baril de pétrole.
Une telle congruence ne s’expliquait pas, contrairement à ce qu’on a pu croire, par les simples effets qu’une hausse du prix du carburant à la pompe aura sur le coût du transport en commun, mais aussi et surtout du fait des réévaluations à la hausse que pouvaient logiquement connaitre les autres prix des produits vivriers et autres produits de première nécessité dont les prix complexifs tiennent compte du coût de transport.
De manière évidente donc, les colères sociales vécues au Cameroun et ailleurs en Afrique durant cette période avaient une odeur précise : l’odeur du pétrole.
Le pétrole : une matière inflammable
L’odeur du pétrole est partout présente autour de nous en effet. Le pétrole est présent à travers l’usage de ses dérivés que l’on retrouvera dans la cuisine (sacs de congélation, sacs-poubelles, bouteilles, ustensile et couverts en plastique, chewing-gum, des produits de vaisselle).
On le retrouve dans la salle de bain et l’armoire à pharmacie (seringues, pansements, shampooings, crèmes de beauté, rouges à lèvres, parfums, aspirine…); dans la voiture ( pneus, chambre à air, pare-chocs, rembourrage des sièges, moquettes…etc.); dans la production de certains matériaux de construction, mais aussi dans la fabrication des objets aussi communs comme la peinture, les vêtements, des engrais, des pesticides, des détergents, de l’encre d’imprimerie,…etc.
Au regard de cette présence même dans des espaces et des lieux insoupçonnés de notre intimité, il est permis de dire que nous vivons à « l’âge du pétrole », dans la mesure où ce dernier imprègne directement et indirectement toute l’écologie de la vie moderne.
Pour demain…
A la veille d’une période « crue politique » au Cameroun, il faut craindre que les tensions sociales alimentées de toutes parts, associées aux inégalités socio-économiques qui s’aggravent, ne servent de carburant pour enflammer un tissu social déjà très fragilisé par des crises durables.
Le reflexe répressif et sécuritaire pourrait être à cet égard absolument improductif, sinon contre-productif.
Les forces morales vigilantes de partout, susceptibles d’encadrer et de limiter les débordements de certains illuminés qui croient protéger le saint graal, devraient donc redoubler de vigilance.
Car, ainsi l’histoire des convulsions sociales nous l’aura toujours enseigné, les colères longtemps contenues, étouffées, ravalées ou réprimées pourraient alors par un déclic inattendu trouver un prétexte d’explosion…et ouvrir la voie à des saccages parfaitement inutiles en ce moment.
Professeur Armand Leka Essomba